12 avril 2001, ce jour-là Alfred Petit, 36 ans bénéficie d'une permission de sortie de trois jours de la prison du Val-de-Reuil. Malgré son jeune âge, l'homme a déjà passé 15 ans derrière les barreaux pour une tentative de meurtre contre trois policiers et un vol avec port d'arme. En outre, le 23 novembre 1990, il profite d'une visite à l'hôpital pour tenter de s'évader en proférant des menaces de mort. Cet acte lui vaudra d'être condamné à 10 ans de réclusion criminelle par la cour d'assises du Calvados. Mais ce 15 avril 2001, au terme de sa permission, le détenu ne se présente pas à la prison où il est incarcéré...
Double homicide en Normandie
Quelques jours plus tard, le 18 mai 2001, la grange de Jean-Jacques Roussel située à Saint-Jacques-sur-Darnétal (Seine-Maritimes), est détruite par un incendie. A l'intérieur on découvre le corps calciné de son propriétaire. L'autopsie révèle très vite qu'il ne s'agit pas d'un accident, la victime ayant été tuée d'une balle dans l'abdomen avant d'être brûlée.
Alors que l'on découvre le corps sans vie de Jean-Jacques Roussel, Danielle, son épouse, est introuvable. Au domicile du couple, le fils des deux quinquagénaires est le premier à constater la disparition de sa mère. Un détail lui fait craindre le pire: les assiettes sales sont encore sur la table, comme si Danielle avait du partir précipitamment de chez elle pendant son repas.
Malheureusement, les craintes des enquêteurs se confirment avec la découverte dans la Seine à partir du 22 mai, d'un corps de femme découpé en morceaux. Les expertises confirment qu'il s'agit bien de Danielle Roussel, elle-aussi assassinée d'une balle dans l'abdomen. Sa mort remonte au 18 mai.
Arrestation d'un suspect
Le 20 mai 2001, Alfred Petit, toujours en cavale, croise sur sa route un contrôle de police. Bien décidé à échapper à une nouvelle arrestation, celui-ci ouvre le feu sur les gendarmes et parvient à s'enfuir. Mais son répit sera de courte durée puisqu'il est interpellé par les forces de l'ordre le lendemain dans un champ sur la commune de Boos, près de la propriété familiale.
Le lien entre Alfred Petit et l'affaire du double homicide du couple Roussel est très vite établi. Le détenu en cavale avait volé la voiture de Danielle Roussel dans laquelle les enquêteurs découvrent un fusil de chasse ayant servi à tirer sur les gendarmes le 20 mai. Par ailleurs du sang, identifié comme celui de la victime, est retrouvé dans le véhicule et sur les vêtements du suspect.
Ces indices particulièrement compromettants conduisent le juge d'instruction à mettre Alfred Petit en examen pour ce double meurtre et pour tentative de meurtre sur les gendarmes. Dans l'attente de son procès, il est placé en détention à la maison d'arrêt de Loos-lès-Lille (Nord).
Premier Procès
Le lundi 8 décembre 2003, le procès du principal suspect du double meurtre des époux Roussel s'ouvre devant la cour d'assises de Seine-Maritime. Malgré les éléments matériels qui l'accusent, celui-ci a toujours nié être l'auteur des faits. C'est ce qu'il répéte le premier jour d'audience. Après cette déclaration adressée à Jean Reynaud, président de la cour d'assises, il décide de se murer dans le silence: "Je suis désolé pour les Roussel et pour leurs proches qui doivent assumer cette épreuve, mais je ne suis pas l'auteur des faits qui me sont reprochés et je veux que la vérité sorte de ces débats. Mes silences peuvent être interprétés comme un signe de culpabilité, ce n'est nullement le cas. Désormais, je ne prendrai plus la parole."
En revanche, le père de l'accusé qui s'appelle lui aussi Alfred, se montre particulièrement loquace et ce dès l'ouverture des débats. L'homme, un ancien policier de 64 ans reconverti dans la boucherie, ne se gêne pas pour interrompre les intervenants, à tel point que le président est obligé de le rappeler à l'ordre à chaque instant.
Dans son discours plutôt incohérent il explique que son fils n'est pour rien dans cette affaire et qu'il est certain qu'il s'agit d'une vengeance de la part d'anciens collègues policiers qui auraient profités de la situation pour faire payer le père en accusant le fils: "Alfred, c'est un garçon très bien. Il n'a jamais battu un de ses camarades, il n'a jamais frappé personne. Tout ce que j'ai à dire, c'est qu'il n'est pas méchant."
Très vite, il apparait que, malgré les preuves qui accablent l'accusé (l'ADN de Danielle Roussel a été identifié dans des traces de sang prélevées sur le pantalon d'Alfred Petit), certaines pistes ont été négligées par les enquêteurs. En premier lieu, l'hypothèse d'une erreur de personne compte tenu de la difficulté à établir un mobile pour ce double meurtre.
En effet, il se trouve que Me Pierre Houppe, qui, en 1987, était le défenseur de trois policiers lors du premier procès d'Alfred Petit a vécu de 1975 à 1979 dans la maison voisine de celle des époux Roussel. Condamné à l'époque à 15 ans de réclusion criminelle, Alfred Petit n'a jamais accepté cette sentence. Souhaitant faire payer cet avocat, il se serait trompé de cible en s'attaquant aux Roussel. Mais convoqué à la barre le 10 décembre, l'avocat affirme n'avoir jamais fait l'objet de menaces à la suite de ce procès.
Un peu plus tard, c'est l'hypothèse de la présence d'un complice qui fait surface. A l'origine de cette théorie, le témoignage d'un homme qui affirme avoir aperçu deux silhouettes près de la grange des Roussel en feu le soir du meurtre. Pourtant ce témoin n'avait pas été pris au sérieux par les enquêteurs au moment de l'instruction. L'autre élément qui accrédite la thèse d'une deuxième personne est le rapport du médecin légiste qui conclue que la découpe du corps de Danielle Roussel n'a vraisemblablement pas été réalisée par un néophyte. Tous les regards se tournent alors vers Alfred Petit père, boucher de formation.
Coup de théâtre
Le vendredi 12 décembre, Dominique Lemauviel, un chef d'entreprise de la région, apporte son témoignage à la barre. Il raconte que le soir du meurtre, il passait en voiture près de la grange en feu où a été retrouvé le corps de Jean-Jacques Roussel. C'est là qu'il a aperçu deux hommes prenant la fuite. S'il lui est impossible d'identifier Alfred Petit comme étant l'un des hommes, il explique avoir été frappé par la démarche d'Alfred Petit père en le voyant à la télévision dans un reportage consacré à l'affaire. En effet celle-ci était semblable à celle du plus âgé des deux hommes qu'il avait vu cette nuit-là. Dans le tribunal, le président demande alors au père de l'accusé de faire quelques pas devant le témoin. Immédiatement, Dominique Lemauviel reconnaît le déhanchement si caractéristique de l'ancien policier ainsi que "son système pileux développé", ce qui le met dans une colère noire. "Ah !, l'enfoiré, ah !, l'ordure, je n'avais pas de barbe à l'époque. Je l'ai laissée pousser exprès" lui lance alors Alfred Petit père.
Supplément d'information
Dans ces conditions, Me Michel Dubos, l'avocat des enfants Roussel demande le renvoi du procès pour supplément d'information. Le lendemain, le président de la cour annonce que sa demande a été acceptée en raison du témoignage troublant de Dominique Lemauviel et des multiples failles de l'instruction, notamment l'absence d'analyses sur les couteaux de boucher appartenant au père de l'accusé. Devant la tournure que prennent les évènements, Julien Roussel craque: "J'ai honte simplement de l'institution judiciaire quand je vois la façon dont on est traités. Je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai peur de représailles. J'ai 23 ans et je n'ai pas envie de me retrouver dans le même caveau que mes parents."
Quelques jours plus tard, le 18 décembre 2003, les enquêteurs perquisitionnent la maison d'Alfred Petit père à Franqueville-Saint-Pierre, sur commission rogatoire du juge Christian Balayn mais l'homme est laissé en liberté.
Suicide d'Alfred Petit père
Quelques semaines après le renvoi du procès de son fils et soupçonné d'avoir été le complice du meurtre pour lequel il devait être jugé, Alfred Petit père est retrouvé pendu dans un champ à Boos. Avant de commettre l'irréparable, l'homme a pris soin de laisser deux lettres dans lesquelles il réaffirme son innocence, ainsi que celle de son fils. En apprenant la nouvelle, Yves Mahiu, l'avocat d'Alfred Petit fils déclare: "Quand on désigne à la vindicte populaire un homme comme pouvant être le complice d'un crime affreux, on peut comprendre qu'il n'ait pas supporté une telle pression, explique-t-il. Il n'a pas fait dans la demi-mesure, ce qui n'est pas surprenant de la part d'un homme qui vit depuis de longues années dans un climat de persécution, certains ont même parlé de paranoïa."
Malgré la mort du père du principal suspect, l'enquête se poursuit en vue d'un second procès.
Second procès
Celui-ci s'ouvre le 4 décembre 2004, pratiquement un an jour pour jour après le premier. Comme il l'avait fait douze mois auparavant, l'accusé prend la parole pour dire qu'il ne répondra à aucune question.
Dès le premier jour, l'ombre du père décédé plane sur la cour d'assises de Rouen. En évoquant son père et son mari, la fille et l'épouse d'Alfred Petit père le décrivent comme un homme tyranique mais droit et travailleur et répètent qu'elles ne peuvent imaginer qu'il ait été impliqué dans cette sordide affaire.
Dès le second jour, l'accusé tente de perturber les débats en récusant son avocat et en demandant à être défendu par Gilbert Collard. Le célèbre avocat Marseillais n'est pas contre le principe de défendre Alfred Petit mais se trouve au même moment en plein procès dans la région l'Albi. Devant l'impossibilité de faire venir Gilbert Collard en Normandie, Alfred Petit demande alors le renvoi de son procès. Mais celui-ci est refusé par la cour. Comme le permet la loi, le président décide alors de commettre d'office Yves Mahiu, l'actuel avocat d'Alfred Petit, pour défendre ses intérêts et ainsi poursuivre les débats.
En réponse à cette décision, Alfred Petit impose le silence à son avocat qui ne s'exprimera plus jusqu'à sa plaidoirie finale.
Sans surprise, au terme d'un délibéré de trois heures le 10 décembre 2004, la cour présidée par Michel Gasteau reconnait Alfred Petit, 39 ans, coupable du meurtre du couple Jean-Jacques et Danielle Roussel et le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité.
Son lourd passé a évidemment influencé les jurés dans leur décision, d'autant plus que Patrice Lemmonier, l'avocat général avait précisé dans son réquisitoire qu'il "est le seul individu en France à être passé, avant 40 ans, pour la troisième fois devant une cour d'assises pour des causes différentes" et que "ses bons côtés ne sont plus en état de fonctionner".
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