En mai 1999, à Nancy (Meurthe et Moselle), plusieurs restes de cadavres sont retrouvés dans les eaux boueuses du canal de la Marne au Rhin. Des pieds, des mains et même des entrailles humains y sont repêchés durant plusieurs jours. Au premier abord, l'hypothèse qui prédomine est celle du suicide ou de l'accident, le ou les corps ayant ensuite été déchiquetés par l'hélice d'une péniche. Finalement, grace à des empreintes digitales, les policiers parviennent à identifier le corps de homme.
Il s'agit de Hans Gassen, un allemand de 55 ans domicilié en Basse-Saxe et fiché à la suite d'un trafic de voitures de luxe entre les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Albanie. Le pedigree de la victime réoriente donc l'enquête vers la piste d'un meurtre ou d'un règlement de compte entre truands.
En fouillant dans son passé, les enquêteurs apprennent qu'il a été détenu en France à Saint-Mihiel (Meuse) et surtout que l'un de ses codétenus a été Nadir Sedrati, 61 ans. Ce dernier a été condamné pour de petites escroqueries et pour des usurpations d'identité. Mais ce qui met la puce à l'oreille des policiers, c'est l'implication présumée de l'homme dans plusieurs affaires de disparitions. Bien qu'il n'ait jamais été condamné dans ces dossiers faute de preuve et de cadavre, la coïncidence est suffisamment troublante pour que l'on s'intéresse de près à son cas.
Ainsi, en novembre 1985, il comparait devant la cour d'assises de Charentes-Maritime, accusé d'avoir fait disparaître André Gachy, un enseignant retraité dépressif qui se soignait dans une maison de repos à Verrières (Haute-Savoie). Il l'avait fréquenté en 1982, et avait utilisé son appartement et sa voiture et usurpé son identité afin de toucher ses indemnités pour longue maladie. En l'absence de preuve, il est finalement acquitté.
Quelques années plus tard, il est poursuivi pour arrestation et séquestration dans l'affaire de la disparition de Léon Krauss, un habitant de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de- Marne). Comme dans l'affaire précédente, il est relaxé en 1995 par le tribunal correctionnel de Créteil car aucun cadavre n'a été retrouvé. En revanche, comme il vécu dans l'appartement de la victime il est condamné à cinq ans de prison pour usurpation d'identité, faux et usage de faux. C'est à la suite de cette condamnation qu'il fait la connaissance de Hans Gassen en prison.
C'est en ayant pris connaissance de ces informations que la police va interpeller Nadir Sedrati le 21 juillet 1999 à son domicile de Laxou (Meurthe-et-Moselle). En perquisitionnant, les enquêteurs s'aperçoivent qu'il a créé une société de transport bidon appelée Inter Europe Diffusion. Beaucoup plus troublant, une broyeuse de jardin maculée de sang, une scie et des couteaux de boucher sont retrouvés dans le petit studio, ainsi qu'un paquet de cyanure. En outre, de grosses traces de sang ont été dissimulées par un linoleum récemment posé.
Tous ces éléments sont suffisants pour le mettre en examen et l'incarcérer le jour même.
Interrogé, il reconnait avoir été en contact avec Hans Gassen le 20 mai dans le but de monter avec lui une affaire de trafic de camions international et de drogue. Un autre ancien détenu de la prison de Saint-Mihiel, lui aussi allemand, devait participer avec eux à ce trafic. Son nom est Hans Muller et selon Nadir Sedrati, c'est lui qui aurait tué son compatriote d'un coup de couteau alors que les trois hommes se trouvaient dans son studio. Pris de panique il aurait pris la fuite puis, en revenant chez lui il aurait aidé Hans Muller à se débarrasser du corps qu'il aurait préalablement découpé.
Les policiers allemands sont donc alertés et interpellent Hans Muller qui nie toute implication dans ce meurtre.
Au domicile de Sedrati, les papiers d'identité de deux autres anciens détenus sont également retrouvés. Il s'agit de Gérard Steil et Norbert Ronfort, qui n'ont plus donné signe de vie depuis leur libération. Or, durant l'été 1999, deux autres cadavres sont repêchés dans le canal nancéien. Cela commence à faire beaucoup pour celui qui se présente comme un simple petit escroc.
L'ADN de l'un des cadavres permet d'identifier Gérard Steil. En revanche le corps de Norbert Ronfort n'a jamais été retrouvé.
Après plus de deux ans d'instruction, Nadir Sedrati est renvoyé devant la cour d'assises de Meurthe et Moselle en avril 2002. Il est accusé d'avoir tué les trois hommes en ayant versé du cyanure dans leur café puis d'avoir tenté de faire disparaitre leurs corps en les découpant et en les jetant dans un canal.
Dans la salle d'audience, son comportement et sa tenue vestimentaire bariolée lui donnent un faux air de clown. Intarrissable lorsqu'on l'interroge, il axe sa ligne de défense sur le fait que d'autres personnes à qui il a usurpé l'identité sont encore en vie. Pour preuve, deux anciennes victimes, Joël Royer et Philippe Grossiord vont tour à tour témoigner à la barre.
Mais son aspect comique va perdre de son effet lorsque les experts psychiatres vont dresser son profil psychologique. Tous le décrivent comme un manipulateur, un fabulateur, un simulateur, un homme dangereusement pervers et qu'en raison de son âge aucun traitement n'est à envisager. On apprend également qu'il a connu des périodes de coprophagie en prison qu'il met sur le compte d'une grande détresse psychologique à l'époque de son incarcération.
Sa ligne de défense va également se fissurer en raison des incohérences de ses explications comme par exemple lorsqu'il raconte avoir goûté du cyanure pour prouver qu'il est impossible d'empoisonner quelqu'un en le mélageant à du café en raison de son amertume.
Dans sa plaidoirie, l'avocat de la défense Gérard Welzer tente de minimiser le rôle de son client en chargeant au maximum Hans Muller, qui, selon lui, est le seul à avoir un véritable mobile pour le meurtre de Hans Gassen. Il conclut en rappelant que le doute doit profiter à l'accusé et que dans ce dossier, certains éléments restent flous comme l'absence du corps de Norbert Ronfort.
Mais les jurés vont suivre le réquisitoire particulièrement accablant de l'avocat général en condamnant Nadir Sedrati à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 20 ans. Un an plus tard en mai 2003 la condamnation sera aggravée en appel avec une peine de sûreté portée à 22 ans, soit le maximum légal.
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